Jeune Afrique : L'initiative atlantique de Mohammed VI, une nouvelle pierre angulaire de la diplomatie marocaine ?
Sous le titre "L'initiative atlantique de Mohammed VI, une nouvelle pierre angulaire de la diplomatie marocaine ?", le magazine "Jeune Afrique" indique que le Maroc souhaite offrir aux pays du Sahel un accès à l'océan Atlantique, notamment via ses infrastructures massives en construction dans le désert. C'est une idée audacieuse et stratégique sur le papier, mais sa mise en œuvre sur le terrain est extrêmement complexe.
La "Initiative royale pour l'Atlantique" est un projet présenté par le Maroc à quatre pays du Sahel (Burkina Faso, Niger, Mali et Tchad) en décembre 2023 à Marrakech. Il vise à faciliter l'accès des pays sahéliens enclavés à l'océan et, à terme, à créer une zone de développement économique et d'échanges commerciaux entre les pays d'Afrique de l'Ouest et le reste du monde. Pour ce faire, le royaume est prêt à mettre à disposition des quatre pays du Sahel ses routes, ports, chemins de fer et infrastructures industrielles. Ces derniers ont tous salué cette initiative. Ils ont déjà constitué leurs propres équipes de travail afin d'organiser des discussions diplomatiques et de lancer les premières études de faisabilité, souligne "Jeune Afrique".
Jeune Afrique : Le Maroc a exprimé son souhait d'être un "centre" et un "pont" entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe, et de réduire l'influence de son rival algérien si possible.
Un centre entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe
Officiellement, ajoute "Jeune Afrique", la diplomatie marocaine met en avant la nécessité de transformer les économies des pays du Sahel, d'améliorer les conditions de vie des populations et de sécuriser la région qui souffre d'une grande instabilité. De plus, le Maroc a exprimé, depuis une décennie, son souhait d'être un "centre" et un "pont" entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe, et de réduire l'influence de son rival algérien si possible. Mais aussi de s'intégrer (enfin) à une zone économique quasi continentale, comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Cependant, la demande d'adhésion du royaume à la CEDEAO en 2017 est toujours en cours d'examen. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso se sont retirés de cette structure au début de cette année.
Il est également intéressant d'analyser le revers des cartes pour mieux comprendre les enjeux de l'« Initiative atlantique royale », un projet à long terme. Le contrôle du Pacifique et du sud de l'Atlantique est une question majeure. Mais contrôler le sud de l'Atlantique signifie aussi contrôler l'Afrique de l'Ouest et ses nombreuses ressources inexploitées.
Le magazine français cite Youcef Chehab, maître de conférences à l'Université de la Sorbonne Paris Nord, et directeur de recherche au CNRS, qui déclare : "Ce sera la grande bataille des vingt ou trente prochaines années, et le Maroc pourrait obtenir de bons résultats dans ce jeu. Face à l'influence russe et chinoise, le royaume est devenu un centre de sécurisation de l'influence occidentale."
Quoi qu'il en soit, c'est un argument que le Maroc fait valoir à ses alliés américains et européens, à commencer par la France (qui a perdu toute son influence au Sahel) et l'Espagne. Sur les plans financier, sécuritaire et industriel, il est probable qu'Israël et les pays du Golfe - les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite - coincés dans un Moyen-Orient instable et saturé, qui considèrent l'Afrique de l'Ouest comme un territoire stratégique majeur, suivront le mouvement.
De plus, poursuit "Jeune Afrique", cette initiative royale pourrait également profiter au projet de gazoduc entre le Maroc et le Nigeria, qui est en concurrence avec un projet similaire entre l'Algérie et le Nigeria. À l'heure actuelle, l'option marocaine est coûteuse pour le budget (25 milliards de dollars) et extrêmement complexe sur le plan administratif et technique (6 000 kilomètres, dont la plupart sous-marins, et impliquant 13 pays). Mais le projet "algérien" présente également un point faible, car le gazoduc traverse une zone très instable sur le plan sécuritaire. Si le Maroc et les pays du Sahel formaient un bloc cohérent, cela serait un atout précieux pour le royaume, selon "Jeune Afrique".
Une initiative en cours de réalisation dans le désert
Mais comment le Maroc peut-il réaliser son ambition ? s'interroge "Jeune Afrique", expliquant que de 2013 à aujourd'hui, le programme de développement des régions du sud et du Sahara a coûté 78 milliards de dirhams (sur un total de 140 milliards de dirhams prévu). Les plus gros projets d'aménagement sont destinés aux énergies renouvelables (notamment l'hydrogène vert) et à l'interconnexion transfrontalière entre le royaume, la région du Sahel et les pays d'Afrique subsaharienne qui ont accès à l'océan et donc au commerce mondial.
Parmi les projets phares : le port atlantique de Dakhla (12,6 milliards de dirhams) qui sera opérationnel à partir de 2029 et qui sera, à terme, l'alternative méridionale au port de Tanger Med, au nord du pays. Mais aussi la zone franche d'Afrique de l'Ouest, conçue pour être un point d'accès des pays du Sahel à l'océan Atlantique. C'est une zone commerciale, logistique et de services où les matières premières provenant des pays du Sahel et d'Afrique subsaharienne peuvent être valorisées sur place par différentes unités industrielles, avant d'être acheminées via le port atlantique de Dakhla.
Youcef Chehab déclare : "Les provinces du sud ont connu un développement important, mais il existe toujours un manque d'infrastructures. À l'heure actuelle, les investisseurs restent prudents, en particulier en raison du conflit régional au Sahara et de sa résolution aux Nations unies. Mais de nombreux pays ont manifesté leur intérêt, notamment l'Allemagne, la Chine et le Japon."
Le magazine : Tous les pays concernés doivent coopérer, conclure des accords et des partenariats, et mettre en place les arrangements financiers nécessaires pour la réalisation de ces projets gigantesques qui s'étaleront sur plusieurs années.
Avec qui ? Et avec quels moyens ?
Si le Maroc parvient à mettre ses infrastructures à disposition des pays du Sahel, et à soutenir et partager son expertise en matière de grands projets, il ne pourra pas financer à lui seul ce projet colossal et multidimensionnel dans la sous-région. "Jeune Afrique" estime que l'avenir de la région sahélienne marocaine (plus de 3 000 kilomètres séparent le Maroc du Tchad) dépend largement des investissements dans les infrastructures transfrontalières et multimodales, notamment par le développement et la diversification du réseau routier, ferroviaire et maritime. Pour rappel, les coûts du transport et de la logistique représentent 50 % de la valeur des exportations des pays enclavés d'Afrique subsaharienne.
Par conséquent, explique "Jeune Afrique", tous les pays concernés doivent coopérer, conclure des accords et des partenariats, et mettre en place les arrangements financiers nécessaires pour la réalisation de ces projets gigantesques qui s'étaleront sur plusieurs années. Le tout dans un contexte de tensions politiques et sécuritaires. Le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ne suffiront pas, et ils ne pourront pas injecter des sommes colossales, ce ne seront pas des dons mais des crédits. Il faudra donc compter sur les investissements privés et les fonds souverains.
Qu'en est-il de la Mauritanie ?
Enfin, poursuit "Jeune Afrique", l'« Initiative atlantique royale » n'est-elle pas un appel aux pays de la région à prendre leurs responsabilités et à faire preuve de réalisme, loin des urgences politiques ? Qu'en est-il de la Mauritanie, voisine du Maroc, de l'Algérie, du Mali et du Sénégal, qui n'a pas participé à la réunion de coordination ministérielle entre le royaume et les pays du Sahel fin décembre dernier, et qui semble vouloir rester sur ses gardes ? Se demande "Jeune Afrique", soulignant que la Mauritanie n'a pas participé au sommet Algérie-Tunisie-Libye du 2 mars dernier, qui a examiné l'idée d'un Maghreb uni sans le Maroc.
En conclusion, "Jeune Afrique" estime que le Maroc a posé la première pierre de l'édifice, mais il faudra d'autres pierres pour que le royaume et les pays du Sahel puissent réaliser leurs ambitions.